SUR UNE TENDRE DEMI-LUNE
C'est le premier mot qui tue ; lequel ? Le nom de votre premier amour. Eh bien, le nom n'est rien, pour ainsi dire. Où est la rose ? Elle est là, éternelle, à la face de tout. Le nom lui-même est la rose. La rose du Mal du pays, de la Nostalgie, des Foyers Brisés, de la Rivière des Désirs Impossibles...
Je suis assis ici, pensant et rêvant aux choses éternelles.
Elles arrivent ; elles sont de nulle part, mais de quelque part, de toute façon. Une chose dont je suis sûr : elles ont des âmes. Le mot âme est vraiment mort dans ce monde. Nous sommes tous des âmes perdues, mourant sans cesse de jour en jour.
Nous sommes à la perpétuelle recherche de la rivière perdue, des jours passés, des heures passées, des châteaux interdits, des feuilles tombées et des milliers d'années intangibles. Regardez, tout ce que nous avons recherché est déjà là, à notre portée. Nous avons créé notre destin et notre fortune ; nous ne savons pas que d'être intensément vivant n'est qu'une question de mourir instantanément, de mourir à notre vie à laquelle nous tenons tant, de mourir à notre merveilleuse imagination, de mourir à nos chères aspirations et merveilleux désirs, de mourir à tous les rêves enfantins et tous les étés forcés, de mourir à toutes les fleurs d'amour non partagé du premier automne de l'année sacrée.
C'est la première année de mon retour au monde, à la terre des fruits mûrs, de la sève persistante, qui est une autre façon de dire l'indicible...
Je ne sais pas qui je suis. Un fantôme des maisons hantées, un diable qui revient à cette vie pour revoir les lieux qu'il fréquentait, ou un dieu condamné à éternellement reprendre son contre-soi pour recapter ce qu'il ne pouvait pas supporter dans ses vies antérieures. Je ne sais pas.
Une chose que je sais, c'est que je suis en train de mourir au soleil qui se lève chaque jour dans le silence de l'Eternité, de la lune amère qui sans cesse tourmente mon âme de toutes ses frustrations vides, de l'étoile, de l'unique étoile qui sera là un jour pour la dernière lumière qui ne s'éteint jamais. Oui, tout sera là pour une nouvelle tragédie du monde.
Que se passe-t-il maintenant ? Comme d'habitude, il ne se passe rien. Il n y'a qu'une petite trace de quelque chose qui se produit depuis dix mille ans, depuis des milliers et des milliers d'années de mémoire humaine et pas tout à fait humaine. La mémoire du coeur, des sentiments purs, d'une tendre demi-lune, de beaucoup de rues sombres de l'autre côté des Impondérables.
Je ne sais pas ce que je fais maintenant. Il n'y a rien à dire, rien à écrire : tout est un énorme mensonge, un merveilleux canular, un miracle miraculeux du soleil, et de toutes les étoiles qui ont existé dans le cosmos.
Elles vont toujours quelque part ; certaines cherchent la trace de leurs pas, d'autres les saisons mortes de leurs désirs ; et personne ne cherche la cime blanche de sa montagne quelque part dans le monde du Nulle Part.
Oui, la mort est le nom de mon premier amour.
On naît comme un moustique, une merveille de la création divine, un murmure mourant des nuits non-dites. Quelque chose des prochaines mythologies d'ici-bas...
Soudain un matin, on découvre que n'importe quel mot du langage humain peut nous tuer sur le coup, sans pitié, n'importe quel mot sans importance de Sens, d'Ordre et Quelque Part, de But Suprême de n'importe quoi : on voit que l'on est le dernier rêve de sa propre invention, le premier cauchemar du Bonheur éternel, à peine réveillé pour la nouvelle Flambée de l'Obscurité à venir...
Phạm Công Thiện, Toulouse, 1980